Le projet éducatif (par Frédéric Toublanc)
Bienvenue aux admirateurs du 9ème art, futurs auteurs de bande-dessinée ou d'autres formes de livres illustrés. Cette rubrique vous permettra d'en savoir plus concernant la démarche que je développe au sein de mes ateliers, auxquels de nombreux participants viennent régulièrement enrichir leur pratique et cultiver leur intérêt pour cette discipline passionnante !
Ma démarche se fonde sur mon expérience professionnelle d'illustrateur et d'auteur de bande-dessinée que j'ai complétée depuis plusieurs années en encadrant des stages en école d'arts-appliqués (« workshop »), et autres activités en milieu scolaire et associatif.
Je vous expose ci-dessous la vision synoptique des séances qui ne se limitent pas uniquement à la BD (école «franco-belge», comics, mangas …etc...) mais concernent l'illustration en général, qu'elle s'applique à l'édition-jeunesse,
le dessin de presse, la communication visuelle, l'animation, ou autre, pour peu qu'elle soit figurative et expressive.
Mon objectif est de fournir aux participants des conseils techniques qu'ils aient ou pas des aspirations professionnelles et surtout un cadre convivial pour échanger, se cultiver et développer s'ils le souhaitent une production personnelle d'auteur.
Ponctuées de mes explications et de mes démonstrations concernant les chapitres essentiels de la technique du dessin, de la mise en page et de la narration (voir le chapitre N°1 ci-dessous), les séances proposent en première partie des exercices concernant l'acquisition d'un savoir-faire technique et placent l'élève en seconde partie devant sa feuille blanche, impatient de libérer son imagination et de faire courir sa main sur le papier.
Vous trouverez à la fin de ce développement que j'ai voulu pragmatique pour exposer aux futurs participants ce qu'ils viendront trouver concrètement lors de nos séances, quelques «hauteurs de vues» concernant la position des illustrateurs au sein de la collectivité. Je vous donne une conclusion traitant des perspectives d'études supérieures permises aux pratiquants de notre activité.
I- De la théorie bien-sûr, et surtout de la pratique :
Le dessin adapté à «l'expression visuelle narrative» (tel que se définit le neuvième art) est d'abord une discipline, cette recherche réclame de nombreuses connaissances théoriques et demande de s'appliquer à une pratique régulière et dense.
Voilà pourquoi le programme que je propose laissera la plus grande place aux expériences sur le papier en laissant une portion congrue aux explications orales. Je compte que mes développements théoriques concernant l'anatomie, la perspective, la composition du cadre ou la mise en page (...etc...) soient perçus le plus concrètement possible sous le crayon de mon auditeur et vite corroborés par l'expérimentation. Il s'agira donc d'exercices pratiques préalables aux travaux de création.
Selon l'estimation qu'ils feront eux-mêmes de leurs besoins, les pratiquants avancés seront néanmoins libres d'en faire l'économie s'ils souhaitent se consacrer d'emblée à leur production personnelle.
- Des connaissances et de la technique avant de libérer son imaginaire :
Ce n'est que devant la frustration d'une figure mal formée ou d'une image confuse déclarée illisible par son lecteur que le courageux dessinateur éprouvera le désir d'obtenir le bagage théorique qui lui permettra ensuite d'anticiper les écueils de la technique. Sans être préalablement confronté à cette cruelle épreuve, le pratiquant n'est pas spontanément à l'écoute d'un cours magistral de perspective ou d'anatomie et s'impatiente naïvement de pouvoir se laisser porter naturellement par son inspiration. C'est pourquoi la première moitié de séance (45 min environ) sera consacrée à des travaux dirigés («workshop» selon la terminologie usuelle des écoles d'arts appliqués) qui proposeront l'observation de la physiologie humaine et animale, des exercices de géométrie et de perspective, la composition, la stylisation du dessin, l'exploration des possibilités de «rendu» ...etc...
Le programme pédagogique proposera la pratique du dessin à vue sur figurines ou modèles en plâtre, des exercices de dessin «pas à pas», l'analyse et copies d’œuvres notables ...etc.., ainsi que l'exploration des outils et techniques d'exécution concernant l'encrage ou la mise en couleur.
Ce programme porte tout au long des deux premiers trimestres sur chacun des chapitres essentiels du dessin académique : le personnage / la perspective / la composition. Le dernier trimestre concerne les techniques de mise en page et de narration.
La deuxième partie de séance qui permet l'expression de la créativité est quant à elle consacrée plus spécifiquement au développement d'une production personnelle, nourrie par sa propre imagination ou fondée si besoin sur le thème d'inspiration que je fournis. L'élève poursuit ainsi sa création à chaque séance ou à la maison s'il le peut, dans l'intervalle entre les séances. Ces éléments seront développés plus loin au chapitre N°II.
- L'atelier bande-dessinée n'est pas un atelier d'arts-plastiques :
En m'appuyant sur la fameuse maxime déclarant que l'efficacité d'un dessin «est bien supérieure à celle d'un long discours», je dois préciser que la caractéristique de notre pratique est d'exploiter les ressources de l'image dans l'objectif d'exprimer visuellement un propos qui, s'il avait été porté par d'autres médiums aurait pu n'être présenté qu'avec des mots : illustrations signifiant en quelques images tout le contenu rédactionnel d'un conte pour enfants, d'un article de presse ou la couverture d'un roman qui nous en dit
l'essentiel d'un seul coup d’œil, ou à plus forte raison les planches d'une bande-dessinée qui visent à calculer le ratio texte/image avec un rendement de signification maximum en évitant l'accumulation des phylactères. C'est à optimiser l'expressivité du «message» que travaille l'illustrateur. La qualité figurative de son dessin est donc fondamentale (qu'il soit «réaliste» ou «stylisé»). La qualité plastique ne constitue donc pas quant à elle le seul vecteur de sa recherche et si l'on ajoute à cela que ses images sont le plus souvent «narratives» on parviendra à distinguer ce qui différencie sa démarche de celle d'un peintre, surtout de celle d'un peintre abstrait ! De nombreux aspects propres à l'enseignement des arts plastiques sont donc à considérer comme complémentaires à notre activité et la démarche du plasticien n'est certes pas la nôtre qu'il convient à mon sens de considérer comme un partenaire et sûrement pas comme un concurrent.
II- Créativité, culture et éducation :
L'activité d'illustrateur, en outre d'aboutir à une production artisanale (illustrations, planches, albums...etc...) est une plate-forme idéale pour investiguer des centres d'intérêts nouveaux, sortir «de sa bulle»… et ne surtout "pas la coincer" !
Un auteur se consacre prioritairement à un copieux travail de recherches documentaires pour fonder l'environnement d'une histoire ou encore pour signifier toute la teneur du message révélé par un dessin de presse, d'une affiche un d'une couverture (...etc...).
Nos ateliers (même à titre d'activité de loisir !) constituent de multiples occasions d'enrichissement personnel qu'il s'agisse de se cultiver intellectuellement ou d'opportunités d'échanges humains et de contacts sociaux.
- Ouverture d'esprit et ouverture au monde :
Les sujets traités par un dessinateur professionnel sont souvent d'un intérêt didactique pour le lecteur, sont l'objet-même d'un projet éditorial ou constituent le centre de gravité d'une fiction.
Bien qu'il s'agisse pour nous d'envisager des projets d'envergure modeste, les investigations documentaires sont pour les participants de considérables moyens d'ouvertures culturelles (l'architecture romane avant que de figurer le chevalier et sa princesse, les mœurs animales pour situer telle péripétie de Tarzan, ou encore quelques rudiments d'astrophysique pour camper une historiette intergalactique...etc...).
Ces recherches peuvent s'effectuer pendant les séances par l'usage des ressources bibliographiques mises à disposition sur place ou par internet.
L'élève est invité à constituer un dossier de photocopies et d'impression-papier qu'il enrichira régulièrement pendant ou entre les séances. Il pourra poursuivre ses recherches à la maison et s'il se sent «habité» par son sujet, le nourrira par ses expériences hebdomadaires en vivant ses activités et autres loisirs d'une façon renouvelée. C'est un moyen de développer autrement ses relations sociales, ses échanges et la qualité de sa communication, d'acquérir une meilleure acuité de regard sur son environnement et sur de nouveaux centres d'intérêt.
- Quel projet développer ? :
C'est donc à la suite des expérimentations décrites au chapitre N°I que l'élève peut se consacrer au développement d'un projet personnel pendant la seconde moitié de la séance (45 minutes). Certains élèves auront choisi d'y consacrer sans préalable la séance entière et d'autres à l'inverse reporteront ultérieurement cette aventure, ils prolongeront donc s'ils le souhaitent la première partie pour approfondir les travaux dirigés.
Les «écoles de style» auxquelles les élèves se sont le plus souvent déjà affiliés par leurs lectures (mangas, comics, école de Marcinelle, ligne claire, ...etc...) sont toutes admises à constituer leur bagage culturel. Aussi, sont-ils libres de leurs sources d'inspiration et de leurs affinités artistiques comme du «genre» qui constituent leur personnalité. L'espace de créativité qui est maintenant accessible et qu'il n'est néanmoins recommandé de pénétrer qu'après des exercices préparatoires ne sera utilisé à bon escient que s'il permet de parvenir à un résultat «finalisé» susceptible d'être présenté au public.
Le pari est ici d'éviter l'écueil d'une page demeurant vierge par manque d'imagination ou surchargée de figures confuses, ainsi je propose un thème d'inspiration à ceux qui n'ont encore jamais envisagé une recherche personnelle sans l'imposer aux plus avancés qui sont parfois déjà engagés dans une production d'auteur. Le thème proposé suggère le «contexte» dans lequel l'élève pourra situer ses personnages, charge à lui de mettre au point le «pitch» plus précisément. D'autres thèmes laissent davantage d'initiative à l'élève en évoquant simplement une idée pouvant servir de centre de gravité à sa création (voir quelques exemples ci-dessous) :
- a/ le magicien amnésique ne sait plus manipuler sa baguette magique, l'élève imaginera les «ratages» du magicien qui changent les personnages en animaux aveuglément sans plus aucun contrôle de son instrument.
- b/ les pirates viennent rechercher le trésor qu'ils avaient caché, mais en ouvrant le coffre ils constatent que son contenu a disparu (ou est remplacé par : ?).
- c/ créer une situation et développer une mise en scène permettant de représenter une émotion caractéristique ou un sentiment : la «surprise» (étonnement), le «courage», la «terreur»...etc...
- Comment développer son projet ? :
L'élève peut envisager une courte série de vignettes (2, 3 ou 4 images seulement) à la façon d'un «strip» ou un seul dessin à la façon d'une illustration. Les élèves plus avancés peuvent envisager de réaliser une ou plusieurs planches. La façon dont je propose d'encadrer ces travaux consiste à transmettre des méthodes qui découpent le process concernant l'élaboration d'un projet selon les séquences chronologiquement décrites ci-dessous :
- 1/ Création d'univers : personnages et «model sheet»/ dessins d'environnements et «mood-boards» / rédaction et présentation du «pitch». C'est lors de ce processus qu'ont lieu les recherches documentaires et les échanges entre participants.
- 2/ Ecriture du projet : conception du scénario et du découpage / «story-board» (crayonné d'intention ou «chemin de fer» pour un projet hors-BD).
- 3/ Réalisation du projet : mise au point des crayonnés puis reprise à la table lumineuse sur papier adapté à la technique choisie (papier type «canson» pour les utilisateurs de crayons aquarelleables, ou papier type «layout» pour les utilisateurs de feutres marqueurs) pour finalisation des illustrations. A l'exception des titrages (onomatopées) qui pourront être exécutés manuellement, les éléments rédactionnels (phylactères, cartouches, ou légende) seront saisis numériquement puis implémentés par collage sur les dessins.
- Des échanges, des rencontres, des animations :
Nos séances prévoiront des occasions de débats permettant de croiser les points de vue entre participants qui porteront aussi bien sur l'avancement de leurs travaux que sur leurs goûts artistiques et leurs lectures. Le projet de recevoir les visites d'auteurs confirmés venant rencontrer des plus jeunes dans nos ateliers est à l'étude et les concours de bande-dessinée ouverts aux jeunes talents (dont celui organisé par la municipalité ou celui du festival d'Angoulême…etc...) seront propices à stimuler la motivation de notre groupe, l'ambiance, la communication et l'entraide (surtout pas la concurrence !). Pour compléter ces dispositifs, on pourra envisager à l'extérieur des séances des sorties de groupe à l'occasion d'expositions, de festivals ou encore des visites d'ateliers chez des auteurs.
III- Fréquenter nos ateliers dans quels objectifs ? :
Admirateurs des auteurs que nous avons dévorés avec tant d'enthousiasme, c'est avec ce même élan que nous cherchons un jour le moyen d'égaler la truculence de Franquin, la poésie de Myazaki ou la fantasmagorie de Moebius : subjuguer nos lecteurs par notre dextérité mais plus encore créer un monde qui saura les fasciner véritablement ! Que doit-on discerner dans cette intention et pourquoi développer cette pratique ?
Nous verrons également que se laisser absorber par ses propres univers imaginaires en impliquant son affectivité dans une pratique chronophage devient un jour plus qu'un «art» mais un «art de vivre» car il s'agit de renouer une relation plus riche avec le monde. Le pratiquant en conçoit alors souvent le projet d'en faire sa vie, et faire de son loisir un métier : quelques pistes sont évoquées en conclusion qui donnent encore un sens supplémentaire à nos ateliers.
- Image et « magie » :
Re-créer le monde c'est un peu l'aspiration du dessinateur et c'est d'abord travailler sur l'image qu'on en a au départ. Aussi, resterons-nous pantois en observant ces parfaits anagrammes : image et «magie». Une clé qui nous permettra sans-doute de savoir qu'il est toujours possible de voir autrement les choses qui nous environnent : de les transformer, de les «transmuter» armé d'un seul crayon tel un enchanteur brandissant sa baguette. En travaillant à nos représentations mentales puis à les figurer sur le papier, nous saurons certainement qu'un profond travail se fait... pendant cette « ré-création » !
- L'agent indispensable à toute civilisation :
Cet espace de liberté que permet enfin la feuille blanche va nous permettre de vivre nos émotions, nos aspirations, nos rêves avec tellement plus de possibilités que dans la vie ordinaire souvent bridée par trop de limitations. La magie de ce processus c'est qu'en mettant en image notre vie intérieure, c'est avec la «vraie vie» un lien nouveau que nous recréons : le rêveur distrait, l'illuminé, le rebelle...etc... acquièrent ainsi socialement la position d'un créateur. Cet enfant fantasque et immature pourra devenir l'agent indispensable à toute civilisation, le seul peut-être qui en conservera la trace quand elle aura disparu : voilà ce que firent nos peintres, nos romanciers, nos artistes, en transmettant une mémoire, des valeurs, des idéaux, à l'instar des créateurs de Superman ou d'Astérix qui en disent tellement de nos représentations et de nos racines. Ces figures à l'évidence légendaires à jamais seront-elles les quelques rares témoins qui survivront de notre monde lorsqu'il se sera effondré ?
- Formation professionnelle, études supérieures :
Nombre de participants aux ateliers n'y voient pas seulement qu'un loisir et puisent dans ces activités des ressources parfaitement exploitables dans leurs professions ou viennent compléter leur formation s'ils sont étudiants. Ce travail sur «l'expression figurative et narrative» ne servira pas uniquement le projet d'une
carrière d'auteur professionnel dont les perspectives sont certes très aléatoires. Il se pratique par ailleurs également sous des formes dérivées de la bande-dessinée (dessin de projets, story-boards...etc...) dans les métiers de l'enseignement, la communication, l'architecture, la culture, voire de la recherche scientifique ou même de la justice !
Nos coreligionnaires bédéphiles s'ils sont lycéens ou étudiants viennent quant à eux développer le dossier indispensable à l'accès aux filières du bac STD2A, du DNMADE des lycées professionnels ou des écoles d'arts appliqués. De nombreuses filières d'études y sont proposées permettant l'accès aux métiers du design publicitaire, de l'édition, de l'audio-visuel ou du multimédia que j'ai pratiqués dans ma carrière. Aussi, suis-je particulièrement à leur écoute pour les conseiller dans la constitution du dossier qu'ils présenteront aux jurys des concours d'entrée ou du «press-book» qu'ils feront directement valoir professionnellement (recherche de commanditaires ou de diffuseurs).
+ d'infos concernant les possibilités d'études secondaires et supérieures dans le domaine des arts appliqués.
Frédéric Toublanc.